« Thank you ! Good bye !! » , tels sont les mots prononcés par Son Goku sur la couverture japonaise du tome 42. Mais ces mots étaient avant tout ceux qu’Akira Toriyama adressaient à nous, ses fidèles lecteurs. Et ce sont ceux qu’aujourd’hui que je lui adresse. Car hier, ce sombre 8 mars 2024, l’annonce de son décès via un communiqué a été faite. Un tremblement de terre, une déflagration, un Kamehameha pleine poire, un Makankosappo dans le bide, un Final Flash destructeur. Le monde n’était pas prêt. Je n’étais pas prêt. Et le choc est terrible.
Cette histoire, c’est la nôtre
Aujourd’hui je ne vais pas retracer la carrière de Toriyama, sa page Wikipédia la résume très bien et les vidéos sur le sujet ne manque pas. Non, aujourd’hui, je vais plutôt rendre hommage à Akira Toriyama dans une sorte de témoignage. Le mien, mais le vôtre aussi. Celui d’un enfant qui a grandit avec Dragon Ball et qui a été accompagné tout au long de sa vie avec les œuvres du mangaka le plus connu et apprécié au monde. Cet enfant qui a poussé un petit rictus en coin à la manière d’un Végéta à chaque clin d’œil remarqué dans une œuvre cinématographique, vidéoludique ou littéraire. Cet enfant qui une fois devenu adulte a transmis cet héritage à ses enfants, comme on transmet Kinto-un (Nuage magique) ou une carapace de tortue à son élève.
Comme beaucoup d’entre vous, mon histoire avec Akira Toriyama a commencé au début des années 90. Je ne saurais pas dire si la porte d’entrée dans son univers riche et déjanté se fit d’abord par Dr Slump ou Dragon Ball, et après tout on s’en fout. Car dans tous les cas c’est avec ces 2 mangas que le japonais m’a eu dans la poche. Comment ne pas se marrer devant la bêtise de Suppaman, personnage populaire de Dr Slump, mangeur de pruneau et caricature évidente de Superman ? Comment ne pas pleurer de rire en découvrant le combat du Ninja Murasaki, totalement humilié par Goku dans Dragon Ball ? Je ne vais pas énumérer tous les gags qui traversent ses œuvres, l’article serait trop long, mais l’idée est là : c’est avec le rire qu’il m’a eu, et c’est avec le rire qu’il m’accompagnera tout au long de ma vie. Parler de Dragon Ball me ramène forcément à ces moments où mon père m’embarquait dans sa bagnole pour filer direct au centre-ville de Marseille. Direction la boutique des « bouquinistes » . Je ne suis pas certain que c’était le vrai nom de la boutique, mais c’est comme ça comme qu’on l’appelait. Elle était tenue par un petit homme, sûrement quinquagénaire à l’époque, d’origine asiatique, et qui se faisait appeler « Gégé le chinois » . Ça ne s’invente pas, et surtout ça ne s’oublie pas. Dans ce lieu incontournable de la sphère geek marseillaise des années 90, j’ai pu glaner mes premiers tomes de Dragon Ball édité par Glénat. En 2024, soit 30 ans après, ils sont toujours sur mon étagère.
Dragon Ball Z, Z, Z, z, z…
Mais le souvenir le plus net que j’ai de Dragon Ball, et c’est à ce moment que le coup de foudre s’est définitivement installé, vient de sa version animée, Dragon Ball Z. L’épisode 237 « Le sacrifice d’un père » , diffusé le 24 août 1994. J’avais 7 ans. Ce moment déchirant où Végéta décide de se sacrifier et fait ses adieux à Trunks, son fils, afin de vaincre Majin Buu, réveillé par sa faute, à cause de son orgueil. C’est précisément à cet instant que Toriyama m’a marqué au fer rouge. Bizarrement pas dans un de ces nombreux moments drôles et légers. Car c’était ça aussi la force de Dragon Ball, de ne nous faire rire, mais aussi de nous toucher, pour ne pas dire pleurer. Et c’est à ce moment-là aussi que j’ai intégré pour toujours la « team Végéta » . Ce prince Sayian, prétentieux et maléfique à ses débuts, qui a l’évolution la plus intéressante de tous les personnages de DBZ. La plus complexe. Et qui inspirera directement des tas de personnages, cultes eux aussi, dans les mangas Shônen comme Sasuke Uchiwa (Naruto) , Tao Ren (Shaman King) ou encore Katsuki Bakugo (My Hero Academia) (liste non exhaustive) .
Super Nintendo, Playstation et boîte de Pandore
Dragon Ball fini, j’acceptais l’idée, sans en avoir vraiment le choix, que les aventures de Son Goku et ses amis n’iraient pas plus loin et qu’il fallait me pencher sur un autre médium pour la poursuivre mais d’une manière différente : le jeu vidéo ! Nous sommes à la fin des années 90 et la Playstation débarque en France. Je n’ai pas eu la chance d’avoir une Super Nintendo et de mettre la main sur ces magnifiques jeux (MDR) et bien traduits (PTDR) qu’étaient Dragon Ball Z: Super Butōden 1, 2 et 3. J’ai donc passé cette frustration contenue pendant des années en me défoulant sur DRAGON BALL : FINAL BOUT. Si j’avais bien conscience que la 3D était dégueulasse et que le gameplay n’avait rien de comparable à un Street Fighter ou un Motal Kombat, je trouvais malgré tout ultra satisfaisant de lâcher des Genkidamas du haut de mes 10 ans sur « Végéta bébé » (encore une super traduction…) . Personnage qui prenait 2/3 de la taille de l’écran et qu’on ne voyait pas intégralement… Pour contextualiser un petit peu, le jeu était sorti en France un an avant que Dragon Ball GT n’arrive chez nous. Résultat, parmi les 17 personnages jouables du jeu, la moitié provenait de DGBT. Mais peu importe. Je pouvais enfin faire bouger mes héros préférés et lâcher des putains de Big Bank Attack dans la face de cet enfoiré de Freezer.
Puis surprise, Maxime, un copain d’enfance, me propose de jouer à Tobal n°1, un jeu de combat en 3D qui se passe dans un univers SF futuriste. Programme intéressant certes, mais l’information qui va surtout me donner envie d’y jouer est qu’Akira Toriyama est character designer du jeu. Et à partir de là j’ai ouvert la boîte de Pandore : non seulement Toriyama est encore actif, mais en plus il participe à la conception de jeux vidéo ! Et il y en a beaucoup. Je découvre alors l’existence de Chrono Trigger et de la saga Dragon Quest. Mais sans avoir la chance d’y jouer avant plusieurs années…
Dragon Budokai Quest 8
Petit coup d’accélérateur à présent et cap sur l’adolescence, avec la sortie de la PS2. Après 5 années sans jeux vidéo Dragon Ball ou d’autres œuvres originales de Toriyama éditées en France, 2002 pointe le bout de son nez et va réveiller à nouveau la passion dans les années à venir avec Dragon Ball Z : Budokai 1/2/3 et les Dragon Ball Z : Budokai Tenkaichi 1/2/3. Mais au-delà du fait qu’on tient là les meilleurs jeux vidéo exploitant la licence, la vraie gifle va venir d’ailleurs en ce qui me concerne. Car le 13 avril 2006, sort pour la toute première fois en France le permier jeu de la saga Dragon Quest traduit en français, je parle bien entendu de Dragon Quest : L’Odyssée du roi maudit. ENFIN, les européens allaient pouvoir mener la quête du héros, chasser des Slimes (les gluants) , suivre les quêtes draconiques, et surtout profiter du bestiaire farfelue et unique imaginé par Akira Toriyama. L’occasion d’apprécier son génie et son imagination sans limite. De remarquer la ressemblance avec certains personnages et autres créatures vues dans ses autres oeuvres. Ses autres oeuvres ? justement j’y viens.
Inspiré et inspirant
Le début des années 2000 sera également l’occasion en France de renouer avec d’autres créations originales du maître, publiées au Japon quelques années avant. De Kajika à Sand land, en passant par Nekomajin, manga dans lequel Toriyama n’hésite pas à se moquer de lui-même et de son oeuvre culte Dragon Ball. Trois mangas très différents sur le ton et la forme, mais dans lesquels on prend plaisir à se perdre. Comme si plonger à nouveau dans l’univers de ce mangaka qui nous accompagne depuis tant d’années nous permettait de revenir un petit peu en enfance. Une sorte de madeleine de Proust.
Mais même lorsqu’Akira Toriyama est inactif ou n’est pas impliqué sur un projet son influence est là. Quand je vois The Storm Riders pour la première fois je pense tout de suite à Dragon Ball avec ses combats chorégraphiés et ses personnages aux pouvoirs surnaturels, qui lancent des vagues d’énergie de la paume de la main et combattent en flottant dans les airs. Quand je regarde Matrix 3 au cinéma et voit Néo et l’agent Smith se foutre des patates de forains dans les airs si puissantes que la déflagration forme des bulles d’air qui repousse la pluit je pense encore à Dragon Ball. Et la liste est encore longue.
Back to the Futur
Mais les années passent, l’âge adulte arrive, je mûris, et si la flamme est toujours là elle est moins ardente. Je ressens toujours de la tendresse pour ces univers mais ça me parle moins qu’avant. J’oublie. Rien d’anormal, c’est le cycle naturel des choses. Les priorités sont ailleurs. J’observe de loin l’exploitation commerciale de Dragon Ball, avec un film Hollywoodien que je n’ai pas eu la force de regarder et que je n’ai pas envie de citer, mais vous voyez très bien de quoi je parle… j’essaye de m’en détacher et de me focaliser sur la nostalgie de l’oeuvre originale. Puis je deviens papa et là… c’est la grosse gifle sur la nuque que j’ai pas vu venir : la transmission !
J’en ai parlé plus haut, mais le simple fait de passer le flambeau à la nouvelle génération, et dans ce cas précis ma fille, vous fait remonter tous les souvenirs à la surface. Se poser à côté de son enfant, lui lire quelques chapitres de Dragon Ball ou Dr Slump et le voir se marrer sur les mêmes choses que vous au même âge ça n’a pas de prix. Vous avez le sentiment à ce moment-là de revivre une énième fois les aventures de vos héros d’enfance préférés. J’avais néanmois une petite réserve avant de lui faire découvrir Dragon Ball. Avec mon regard de père et d’adulte je pensais que le personnage de Tortue Géniale allait être un peu problématique, ainsi que les quelques passages de nudité, certes très rares. Mais par le traitement des personnages féminins dans Dragon Ball, qui sont présentés comme des femmes fortes et déterminées, et le sort réservé à Tortue Géniale à chaque dérapage, Toriyama est arrivé à faire passer des bons messages, qui résonnent encore presque 40 ans après. Tout cela traduit la puissance et l’intemporalité de l’oeuvre de Toriyama. Je le savais déjà, mais le vérifier par soi-même reste toujours plus parlant.
La fin n’est pas la fin
Si la mort d’Akira Toriyama m’attriste beaucoup, plus que ce que je le soupçonnais, au point d’en écrire quelques lignes afin de lui rendre hommage, une pensée me réconforte malgré tout. Celle de savoir que son héritage est là, qu’il parle à des milliards de personnes à travers le monde, qu’il a inspiré de nombreux artistes et va continuer à le faire pendant des années encore.Son oeuvre va rester, et avec elle son message universel et son humour. Et pour ma part, j’ai un fils qui va bientôt faire ses 3 ans, l’âge idéal pour lui lire quelques chapitres le soir avant de dormir…
Thank you and Good Bye Akira Toriyama.
Fondateur de zeGeeks, rédac’ chef, responsable éditorial, graphiste, monteur vidéo, webmaster… en un mot le « métronome » du média. Reconnu pour accomplir diverses tâches avec sa bite et son couteau (suisse) . La légende dit qu’il serait le fils caché d’Hideo Kojima et d’Akira Toryama.