Média Jeu vidéo / Pop Culture / Tech

Cette semaine, après avoir célébré la fête des morts, je me suis enfin décidé à  me lancer dans une quête vers ma propre rédemption avec le jeu Hellblade : Senua’s Sacrifice. Ressorti grandi de cette aventure, le moment du débrief est enfin arrivé. Laissez-moi donc vous expliquer pourquoi ce jeu, en plus d’être captivant, est aussi d’utilité publique. Vous verrez le soin apporté par Ninja Therory pour retranscrire la folie de la manière la plus réaliste possible, notamment au nieau du sound design de Hellblade.

Hellblade : Senua’s Sacrifice, sorti initialement le 8 août 2017, a été développé par le Ninja’s Theory, un studio connu pour se maintenir en vie depuis sa création aux débuts des années 2000, avec quelques jeux notables tels que Heavenly Sword (2007), Enslaved (2010) ou encore DmC : Devil May Cry (2013). Ce jeu m’a laissé bouche bée dès son introduction. Bien entendu, cette extinction de voix temporaire peut s’expliquer pour plusieurs raisons. 

Highway to Helheim

Avant même d’entrer dans le vif des explications, une petite mise en contexte s’impose. Ce jeu nous plonge dans un univers sombre qui tire ses inspirations des mythologies nordique et celtique, avec pour personnage principale Senua, une guerrière picte qui entreprend un voyage terrifiant vers Helheim (le royaume des morts dans la mythologie nordique) dans le but de sauver l’âme de son amant décédé, Dillion, dont elle porte sa tête coupée au niveau de la taille. Afin de mener sa quête à bien et récupérer l’âme de son défunt mari, Senua devra faire face à Hela, déesse nordique des enfers (propriétaire de Helheim par la même occasion), et aux dangers de son royaume. 

Atteinte de psychose, cette odyssée macabre va obliger Senua à combattre de nombreux ennemis. Mais comment faire face aux menaces extérieures si votre propre tête joue contre vous ? Habitée par des voix dans sa tête, ces dernières peuvent teinter ses choix et son jugement, quitte à mettre en péril sa quête. Helheim est d’ailleurs représenté comme un paysage sombre, déformé et hallucinatoire, reflétant à la fois la mythologie et la psychose de Senua. Pour ne rien arranger, la folie de Senua se mesure à travers une malédiction sur sa main qui progresse jusqu’à son cerveau. À chaque défaite, la malédiction s’étend, Senua est prise de visions de plus en plus hallucinogènes et les voix dans sa tête empirent jusqu’à ce qu’elle perde complètement la tête et meurt. Une fois que la malédiction aura pris le contrôle total de Senua, le jeu sera terminé. Votre progression aussi. Oui, il faudra TOUT recommencer (ce serait trop simple, sinon). 

Armé d’une épée, cette guerrière picte est très agile et sait manier le glaive comme personne. En revanche, les combats ne sont pas toujours fluides et peuvent être frustrants, rigides ou imprécis, notamment en ce qui concerne les contrôles de parade et d’esquive. Les animations, bien que spectaculaires, peuvent parfois sembler lourdes ou peu réactives, ce qui peut frustrer durant des affrontements plus intenses. On peut également ressentir une impression de répétitivité dans les combats. En effet, les ennemis varient là où les mécaniques de combat restent relativement simples et se répètent tout au long du jeu.

Mais il est important d’analyser Hellbalde : Senua’s sacrifice dans sa globalité. Malgré leurs défauts, les combats sont souvent perçus comme nécessaires pour renforcer l’immersion et le stress que ressent Senua. Leur imperfection reflète, d’une certaine manière, la lutte chaotique de Senua contre ses propres démons. Les combats ne sont pas aussi fluides que dans God of War (difficile de faire mieux). Ils n’en restent pas moins mémorables grâce à leur intégration dans l’histoire et leur ambiance oppressante.

La santé mentale au premier plan 

Si le jeu a réussi à m’immerger dans un climat aussi anxiogène, c’est avant tout grâce aux travaux des développeurs qui ont réussi à mettre en avant les retombées d’une santé mentale en péril. Dans Hellbalde : Senua’s sacrifice, Senua doit faire face à sa plus grande menace : sa psychose. Ce voyage vers Helheim est à la fois littéral car il représente un défi physique, mais aussi métaphorique avec une confrontation entre elle et ses propres démons intérieurs. Et dans cette confrontation, Dillion représentait bien plus qu’un simple personnage secondaire. Il représentait l’amour, la stabilité et l’ancrage émotionnel de Senua dans un monde où elle est déjà marginalisée à cause de sa psychose. Sa présence lui offrait un semblant de normalité et de réconfort, malgré les voix qui la hantent. Sa mort a brisé complètement cette stabilité et plonge Senua dans un désespoir absolu, la poussant à mener un raid solitaire désespéré pour le ramener à la vie. Et comme un malheur n’arrive jamais seul, la mort de Dillion aggrave les symptômes de Senua. Les voix dans sa tête, les « Furies« , deviennent plus intrusives et hostiles, reflétant son désespoir et sa colère. Ces voix, déjà présentes avant sa mort, deviennent insupportables, poussant Senua à douter de sa propre sanité et de la réalité qui l’entoure.

Afin de traiter au mieux le sujet de la psychose, l’équipe de Ninja Theory a travaillé en étroite collaboration avec Paul Fletcher, neuroscientifique et expert de la psychose à l’Université de Cambridge. Son rôle s’est avéré crucial pour garantir une représentation authentique et respectueuse de ce trouble, en s’appuyant sur des recherches scientifiques solides. Des psychologues cliniciens et des personnes vivant avec une psychose ont également été consultés tout au long du développement. Leur retour a permis d’éviter les clichés et de créer une expérience immersive qui reflète fidèlement les symptômes de la psychose, comme les hallucinations auditives et la paranoïa. Ninja Theory a impliqué des personnes ayant une expérience personnelle de la psychose dans le processus créatif. Ces individus ont partagé leurs récits et leurs ressentis, ce qui a aidé l’équipe à concevoir des mécaniques de jeu et une narration qui capturent l’essence de leur vécu. Avant la sortie du jeu, l’équipe a présenté une version quasi finale à ces mêmes personnes pour s’assurer que la représentation de la psychose était fidèle et non stigmatisante.

Après le succès de Hellbalde : Senua’s sacrifice, Ninja Theory a lancé The Insight Project, une initiative visant à explorer davantage les liens entre jeux vidéo, neurosciences et santé mentale. Ce projet continue de collaborer avec des experts pour développer des expériences interactives qui aident à mieux comprendre et traiter les troubles mentaux. La collaboration avec des experts de la santé mentale a permis à Hellblade de briser les stéréotypes autour de ce sujet. Le jeu a été salué pour sa représentation nuancée et empathique, évitant les clichés souvent associés aux personnages atteints de troubles mentaux. Le tout en empochant plusieurs récompenses, dont des BAFTA.

Un sound design qui rend fou

Bien que les graphismes et le sujet de la santé mentale traité avec justesse font déjà de ce jeu une pépite, la partie du jeu qui excelle le plus reste le sound design de Hellblade (cette partie va concerner principalement les amateurs de casque et de contenu ASMR). L’immersion dans la tête de Senua est une expérience que je ne pourrais comparer avec d’autres jeux déjà testés. On a à la fois l’impression d’être un spectateur omniscient et en même temps d’être enfermé dans la tête de Senua avec les voix dans sa tête qui s’éparpillent et s’écharpent entre elles. 

Pour reproduire l’effet de l’état de santé mentale dégradante de notre guerrière,  les développeurs ont procédé à l’utilisation de techniques innovantes afin de recréer les hallucinations. Notamment la technique du son binaural, qui cherche à reproduire la perception sonore naturelle humaine et ce, par restitution au casque. Autrement dit, le concept est d’envoyer à chaque oreille un son le plus similaire possible à celui que reçoivent les oreilles quand elles écoutent une scène sonore naturelle, en tenant compte des délais, des réflexions et des atténuations qui varient selon la position de la source sonore. Cette innovation permet aux joueurs d’entendre les Furies comme si elles provenaient de différentes directions, tout comme une personne atteinte de psychose pourrait les percevoir.

Senua est hantée par des voix intérieures (représentant ses hallucinations et ses traumatismes), qui commentent en permanence ses actions, ses peurs et ses doutes. Ces voix ne sont pas de simples dialogues, elles sont spatialisées et dynamiques, réagissant en temps réel à ce que fait le joueur. De plus, elles changent en fonction des choix de Senua, de ses échecs ou de ses succès, créant une narration personnalisée et immersive.

Mais les voix dans la tête ne sont pas les seuls éléments sonores procurant cette immersion réaliste. Les bruits de pas ou même le vent semblent provenir de directions précises autour du joueur, comme s’il était réellement dans l’environnement de Senua. Autre point important, Hellbalde : Senua’s Sacrifice n’utilise aucune bande-son musicale traditionnelle. À la place, les sons ambiants (vent, feu, eau) et les voix sont les seuls éléments audio, ce qui ajoute une surcouche de réalisme en plongeant le joueur dans un monde où chaque bruit compte, comme dans la réalité.

Pour conclure sur Hellblade : Senua’s Sacrifice

Pour un jeu ayant une durée de vie de 9h30 pour les plus curieux, Hellblade nous offre un beau périple psychologique que vous ne serez pas prêts d’oublier. Si vous ne l’avez pas encore essayé (avec un casque pour une immersion plus pointue), c’est une démonstration incontournable de ce que le sound design peut apporter au jeu vidéo, disponible sur toutes les plateformes.

Et n’oubliez (surtout) pas une dernière chose : le jeu pouvant être très réaliste, tâchez de ne pas perdre la tête avec les furies qui vous entourent…

Articles similaires